Combien de fois j'ai entendu parler du Domesday Book sans vraiment comprendre de quoi il s'agissait.
Imaginez : on est en 1086. Pas de Google Maps, pas de cadastre, pas même une Town-Hall avec des dossiers.
Et pourtant, un roi normand, fraîchement installé sur le trône d’Angleterre, décide de tout savoir sur son royaume.
Mais vraiment tout. Qui possède quoi ? Combien de vaches, de cochons, de moulins ? Combien de serfs, de manants, de carrières, de ruches ? Qui paye quoi et à qui ?
Bienvenue dans le monde fascinant du Domesday Book.
Qu’est-ce que le Domesday Book ?
Le Domesday Book (littéralement le livre du Jugement Dernier – oui, rien que ça), c’est un immense recensement du royaume d’Angleterre ordonné par Guillaume le Conquérant.
L’objectif ? Connaître les richesses du pays… et surtout qui les possédait, pour mieux taxer tout ce beau monde.
📌 Anecdote : Le nom “Domesday” (à prononcer Doumz-dé) vient du fait que ses verdicts étaient sans appel — comme le Jugement Dernier ! Une fois inscrit, aucun retour en arrière n’était possible.
Mais pourquoi ce livre, au juste ?
En 1066, Guillaume, duc de Normandie, conquiert l’Angleterre après la fameuse bataille d’Hastings.

Les cavaliers normands attaquant l'infanterie anglo-saxonne à la Bataille d'Hastings. Tapisserie de Bayeux. Domaine public via Wikimedia Commons
Sauf que régner sur un pays qu’on ne connaît pas… c’est un peu comme essayer de monter une étagère Ikea sans la notice.
Du coup, 20 ans plus tard, il lance une enquête d’une ampleur incroyable pour l’époque.
Une sorte de super-audit royal, mené par des envoyés du roi, qui sillonnent tout le pays pour interroger prêtres, barons et paysans.
🧐 Ils posaient trois grandes questions :
- Qui détenait ces terres avant la conquête (sous le roi Édouard le Confesseur) ?
- Qui les possède maintenant ?
- Combien valent-elles ?
Et tant qu’à faire, ils notaient aussi les moulins, les forêts, les vignes, les ruches, les esclaves (eh oui…), les cochons, les prés… jusqu’à la dernière poule.
Que contient exactement ce fameux “livre” ?
Le Domesday Book n’est pas un livre de poche, ni même un beau livre à mettre sur la table du salon. C’est un document administratif divisé en deux volumes :
- Little Domesday (Norfolk, Suffolk et Essex) – ironie : c’est le plus détaillé.
- Great Domesday (le reste de l’Angleterre, sauf le Nord).
Chaque région y est minutieusement décrite. On y trouve :
- les noms des propriétaires (souvent des barons normands),
- les surfaces cultivées,
- le nombre de charrettes à bœufs,
- les moulins à eau (super précieux à l’époque),
- les esclaves (on en compte plus de 28 000, rien qu’en Angleterre !),
- la valeur fiscale de chaque domaine, hier et aujourd’hui.

Extrait du Domesday Book
Un outil de pouvoir… et de contrôle
Ce n’est pas juste un inventaire pour faire joli. Le Domesday Book avait un but très clair : remplir les caisses du Trésor royal.
Il permettait d’évaluer précisément combien chaque région devait au roi.
📌 Anecdote croustillante : certains villages sont notés comme “waste” (en friche), non pas parce qu’ils étaient pauvres… mais parce qu’ils avaient été rasés par les armées normandes après une révolte. Ambiance.
Et mon petit village là-dedans ?
C’est là que ça devient fascinant. Si vous vivez ou avez visité un village anglais ancien, il y a de fortes chances qu’il soit mentionné dans le Domesday Book.
Par exemple :
- Chichester, l’ancienne cité romaine devenue siège épiscopal, y figure en bonne place.
- Slindon, charmant village du West Sussex, était une terre de l’archevêque de Canterbury.
- Hastings, aujourd'hui cité balnéaire, est mentionnée dans le Domesday Book.
- East Meon, consacré "Village du Domesday" en 1986 pour le millénaire de l'inventaire.
Chaque fiche donne une photographie sociale de l’époque, un instantané féodal à la loupe. De quoi nourrir des heures de passion pour les amateurs de patrimoine.

Hastings © French Moments
Un héritage unique en Europe
À l’échelle du continent, aucun autre royaume médiéval n’a produit un document aussi complet à une date aussi reculée.
C’est pourquoi le Domesday Book est aujourd’hui :
- conservé aux Archives nationales à Kew, près de Londres,
- accessible en ligne sur des sites comme opendomesday.org,
- et toujours utilisé pour résoudre certains litiges de propriété ancestrale (si si !).
Et si le Domesday Book existait aujourd’hui ?
Imaginez un fonctionnaire du roi débarquant chez vous :
— “Combien de fenêtres ?”
— “Trois.”
— “Et de poules ?”
— “Euh, aucune.”
— “Votre maison valait combien avant le Brexit ? Et maintenant ?”
— “…”
À retenir (si vous avez lu en diagonale)
- C’est un recensement royal fait en 1086.
- Commandé par Guillaume le Conquérant.
- Il recense 13 000 villages, moulins, bœufs, esclaves…
- Le but : contrôler le territoire et lever l’impôt.
- Une source précieuse pour comprendre l’Angleterre médiévale.
- Toujours consulté aujourd’hui par les historiens, juristes et passionnés.

Le château de Hastings © French Moments
En conclusion
Le Domesday Book, c’est un peu le grand-père des fichiers Excel de l’administration fiscale.
Mais en plus classe. Et en latin.
Il nous plonge dans un Moyen Âge très concret, loin des clichés de dragons ou de chevaliers à capes flottantes.
Pour les curieux de patrimoine, c’est une mine d’or : chaque village, chaque nom, chaque chiffre raconte une histoire.
Et peut-être, en visitant un village du Sussex, croiserez-vous encore les traces d’une parcelle, d’un moulin ou d’un seigneur dont le nom fut, un jour de 1086, soigneusement noté à l’encre brune par un scribe anonyme.
Image à la une par Open AI suivant mes instructions.